Ça cogite – Je fresque, tu fresques, nous fresquons – Pourquoi et comment créer une fresque ?

??

Point de vue d’expert·e

Nous laissons la parole à Diane Moinet, créatrice de la Fresque de la langue française, pour partager avec toi son retour d’expérience. Si tu envisages de créer ta propre fresque : pourquoi choisir ce format pédagogique ? comment en construire une ? et comment l’animer ? Autant de questions qu’elle s’est elle-même posées au démarrage, et auxquelles elle propose ici quelques éléments de réponse, nourris par l’expérience de terrain.

Pourquoi se lancer dans la création d’une fresque ?

Un fort intérêt pédagogique

Depuis la création de la Fresque du Climat en 2018, le format de la fresque pédagogique a connu un essor remarquable avec aujourd’hui 2 millions de participant·es dans 167 pays. Son succès repose notamment sur sa capacité à vulgariser des sujets complexes en trois heures, à travers une approche ludique, collaborative et structurée.

L’utilisation de cartes permet de représenter les concepts de manière claire et accessible, tout en favorisant l’implication active des participant·es. Ce format, basé sur la coopération, l’intelligence collective et l’expérimentation, permet une véritable appropriation des savoirs.

À l’issue d’une fresque, les participant·es ne repartent pas seulement avec des connaissances, mais aussi avec des outils de réflexion, un cadre de pensée renouvelé et souvent, une envie d’agir.

Ce format pédagogique s’adapte à de nombreux publics : le grand public, les professionnel·les, les associations, les collectivités, les établissements scolaires… Il peut être modulé selon les besoins : version courte, version pour enfants, lots de cartes thématiques… Cette souplesse est un atout majeur, qui permet de répondre à une grande diversité de contextes.

L’effet levier d’un format déjà connu

J’ai moi-même participé à plusieurs fresques avant de créer la mienne, et j’ai été frappée par leur efficacité pédagogique. J’ai choisi ce format car il génère une dynamique collective, permet une montée en compétence rapide, et crée un climat d’écoute et de bienveillance.

Créer une fresque, c’est aussi bénéficier de la notoriété du format. Aujourd’hui, le mot « fresque » évoque immédiatement une certaine forme de pédagogie active, participative et structurée. Il n’est plus nécessaire d’expliquer longuement ce qu’est une fresque : cela facilite la communication et permet de se concentrer sur le sujet que l’on souhaite traiter.

Enfin, sur des sujets parfois polémiques, la fresque permet de créer un espace sécurisé, de faire dialoguer des points de vue divergents, et d’inscrire les échanges dans une perspective scientifique.

Du déclic à l’engagement durable : prolonger l’impact d’une fresque

Une étude a été réalisée sur 460 participant·es à la Fresque du Climat pour mesurer l’effet de l’atelier sur leurs comportements. Un mois après l’atelier, 30 % avaient modifié leurs habitudes et fait des efforts pour limiter leur empreinte carbone. Mais au bout d’un mois, sans accompagnement dans la durée, ces efforts disparaissent progressivement.

Ce phénomène est bien connu en psychologie comportementale : lorsqu’un problème semble trop vaste, complexe ou systémique — qu’il s’agisse du changement climatique, des discriminations ou d’un autre enjeu sociétal — il peut entraîner un sentiment d’impuissance qui freine, voire inhibe, le passage à l’action.

C’est pourquoi il est crucial, dans la conception d’une fresque, de porter une attention particulière à la phase de clôture. Terminer sur une note constructive, en mettant en lumière des leviers d’action concrets et accessibles, permet de ne pas laisser les participant·es dans une posture fataliste, mais au contraire de nourrir un sentiment d’efficacité personnelle et collective.

Par ailleurs, la participation ponctuelle à un atelier, aussi marquant soit-il, ne suffit généralement pas à déclencher des changements durables. Le renforcement social — à travers l’encouragement, le soutien du groupe ou la reconnaissance institutionnelle — joue un rôle fondamental dans l’ancrage des comportements. Les dynamiques collectives ont, de ce point de vue, bien plus d’impact que les démarches individuelles isolées.

En tant que concepteur·rice de fresque, il est donc pertinent d’anticiper « l’après » : proposer des actions complémentaires comme des formations, des conférences, des ateliers pratiques, des débats ou encore l’élaboration d’une feuille de route collective sur plusieurs mois. Ces prolongements permettent de consolider les prises de conscience, et de traduire l’élan généré par la fresque en actions concrètes et durables.

Comment créer une fresque ?

Créer une fresque demande du temps, de la rigueur et une certaine méthode. Voici les grandes étapes qui m’ont guidée dans la création de la Fresque de la langue française.

Participer à d’autres fresques

Avant de créer ma propre fresque, j’ai participé à plusieurs autres fresques (Climat, Sexisme, Diversité, Nouveaux récits, etc.). Cela m’a permis de comprendre les mécaniques communes, de repérer les éléments efficaces (ou moins efficaces), et de me forger une vision claire du format. Je conseille vivement de prendre des notes : durée des séquences, rôle de l’animateur·rice, organisation des cartes, place de l’intelligence collective…

Collecter une base scientifique solide

Le cœur d’une fresque, ce sont ses contenus. J’ai commencé par recenser des dizaines de sources scientifiques : essais de linguistes, rapports officiels, études, articles de recherche, conférences… J’ai organisé ces ressources sous forme de fiches thématiques, en prenant soin de recouper les informations pour garantir leur fiabilité. Certaines de ces fiches ont donné naissance à des cartes de la Fresque, d’autres ont finalement été regroupées, d’autres encore ont été abandonnées mais nourrissent souvent les échanges durant l’atelier et m’ont permis d’acquérir une plus grande expertise.

Cette phase de veille scientifique est fondamentale car elle garantit la légitimité de la fresque. Elle permet aussi de rester sur un terrain factuel et argumenté, ce qui est essentiel pour aborder sereinement des sujets sensibles.

Dégager les grands concepts et établir un faisceau de liens

Une fois la matière recueillie, j’ai cherché à identifier les concepts clés. J’ai regroupé les informations par thématiques, écarté ce qui était trop pointu, et cherché les liens logiques entre les éléments. C’est une étape de structuration : quelles sont les causes, les effets, les mécanismes, les controverses ?

J’ai ensuite commencé à créer les cartes, d’abord avec le concept seul, puis en testant différentes organisations possibles. L’objectif : faire émerger une structure cohérente, composée de 4 à 6 lots de cartes, pour un total d’environ 40 cartes (au-delà, cela devient trop dense).

Rédiger le contenu des cartes

Au verso de chaque carte, j’ai écrit un contenu synthétique : trois ou quatre phrases maximum, avec une police large et lisible, des mots-clés en gras pour aller à l’essentiel, et des exemples concrets (citations, chiffres, définitions).

La relecture par des personnes extérieures est indispensable : cela permet d’identifier ce qui n’est pas clair, de simplifier encore, et de vérifier l’accessibilité du vocabulaire.

Si tu souhaites illustrer tes cartes, plusieurs options s’offrent à toi : créer tes propres visuels, utiliser des banques d’images libres de droits (avec usage commercial autorisé) ou faire appel à un·e illustrateur·rice.

Ajouter des temps de pause et d’activité

Certaines fresques intègrent des moments de respiration ou d’activité : jeu de rôle, écriture collective, partage d’expériences… Ces temps sont utiles pour changer de rythme, réactiver l’attention ou renforcer l’ancrage des apprentissages. Ils doivent cependant avoir un vrai sens pédagogique.

La fin de la fresque est un moment privilégié pour réfléchir à des actions que l’on peut mener pour prolonger la prise de conscience suscitée par l’atelier. Pense donc à garder un temps d’échange pour proposer des solutions et permettre aux participant·es de repartir avec des informations positives, ce qui facilitera un changement comportemental plus durable.

Tester, tester, tester

Une fois la fresque prête, j’ai organisé plusieurs sessions de test avec des publics variés. À chaque fois, je demandais un retour précis : cartes difficiles à comprendre, rythme, intérêt, ambiance, équilibre entre temps d’échange et temps de restitution…

Ces retours sont précieux pour affiner la fresque, clarifier certaines formulations, ajuster la durée des séquences, etc.

Comment animer une fresque ?

Créer une fresque, c’est une chose. L’animer, c’en est une autre. L’animation est au cœur de l’expérience : c’est elle qui donne vie à la fresque, en facilite la compréhension, et crée l’atmosphère propice aux échanges.

Animation ou facilitation ?

Dans l’univers des fresques, on parle plus volontiers de facilitation que d’animation. Le rôle de la personne facilitatrice est d’accompagner le groupe dans ses interactions, sans prendre partie dans les débats. Cela demande une posture d’écoute, de disponibilité et de vigilance : savoir relancer une discussion, recentrer si nécessaire, gérer le temps, repérer les dynamiques de groupe…

Mais dans la pratique, cette posture peut varier selon le sujet de la fresque et le niveau de connaissance du public. Dans le cas de La Fresque de la langue française, par exemple, je choisis parfois d’adopter une posture plus experte à certains moments clés : pour clarifier un point scientifique, reformuler une carte, corriger une idée reçue, ou apporter un exemple concret qui favorise la compréhension.

Il ne s’agit pas de donner un cours ni de monopoliser la parole, mais bien de trouver l’équilibre entre écoute et transmission. Tout ne pouvant être contenu dans les cartes, les discussions deviennent alors l’occasion d’éclairer le propos, de renforcer la rigueur scientifique, tout en laissant le groupe acteur de ses découvertes.

Être présent·e, mais pas trop

L’enjeu est de trouver le bon équilibre entre présence et retrait. Trop intervenir, c’est risquer de brider l’intelligence collective ; trop se retirer, c’est laisser le groupe se perdre ou se décourager.

Il faut savoir quand apporter un éclairage, quand laisser le groupe chercher, quand synthétiser une discussion. Cela s’apprend avec la pratique.

Gérer le temps et le rythme

Une fresque dure souvent trois heures, mais ce temps peut vite passer si l’on ne structure pas les séquences. Il est important d’annoncer clairement le déroulé, de prévoir des transitions fluides, et de s’autoriser à écourter certaines étapes si besoin.

Le rythme est un levier pédagogique : enchaîner les temps calmes et les temps dynamiques permet de maintenir l’attention.

Je te conseille également de proposer une pause au milieu de la fresque : la pause est une variable d’ajustement très utile, qui peut être allongée ou raccourcie selon l’avancement du groupe.

En ligne ou en présentiel ?

Animer une fresque en ligne demande une adaptation. Les outils numériques (Mural, Zoom, etc.) permettent de maintenir l’interactivité, mais il peut y avoir des freins techniques et un moindre engagement corporel.

En présentiel, les interactions sont souvent plus riches, les échanges plus spontanés. Mais cela suppose un espace adapté, des déplacements, et parfois plus de logistique.

Personnellement, j’ai fait le choix de proposer les deux formats pour la Fresque de la langue française, afin de m’adapter aux besoins géographiques et techniques des individus et des structures. Dans un premier temps, uniquement en présentiel, puis une fois rodée, en ligne. Je trouve que les deux formats sont assez complémentaires.

Créer une fresque est une formidable expérience pédagogique !

Cela demande du temps, de la rigueur et de la pratique. J’ai mis six mois à concevoir seule La Fresque de la langue française, en m’appuyant sur une base scientifique solide et une envie profonde de transmettre autrement. Aujourd’hui, je récolte les fruits de tout ce travail et les retours sont extrêmement encourageants et valorisants.

Voir des personnes qui ne se connaissaient pas en début d’atelier échanger, se questionner, partager des émotions, créer des liens et repartir avec des outils et des envies d’agir est une immense source de joie et de motivation.

Pour moi, ce format qui combine données scientifiques, engagement personnel et intelligence collective, est la forme idéale pour traiter des sujets aussi complexes que la langue, ses enjeux sociaux, ses biais, mais aussi ses puissants leviers d’inclusion et de transformation.

Si tu hésites à te lancer, je ne peux que t’encourager à franchir le pas. Car une fresque, ce n’est pas qu’un outil pédagogique : c’est une aventure humaine peut transformer durablement les façons de penser et d’agir !

Article rédigé par Diane Moinet – Formatrice, conférencière et facilitatrice en communication inclusive

« Forte d’une expérience de plusieurs années dans l’enseignement du français, elle met aujourd’hui son expertise au service des organisations en proposant de manière innovante d’appliquer la linguistique au monde du travail. Fondatrice de la Fresque de la langue française, elle sensibilise de manière ludique et pédagogique à la richesse de la diversité linguistique tout en luttant contre les discriminations véhiculées par la langue. Son objectif : faire du langage un levier d’inclusion et de justice sociale. »

Témoignage(s)

Ed For Good est allé interroger des membres de son réseau afin de comprendre la vision que le monde de la formation a des fresques.

Sylvain – Animateur Fresque du Climat

Ce qu’on retient du vocal :

  • Sylvain est déjà impliqué dans plusieurs initiatives autour de l’environnement.
  • Son but avec les Fresques : sensibiliser les citoyen·ne·s et vaincre l’inaction.
  • Pour lui, l’intérêt pédagogique des Fresques est que c’est un format ludique, qui permet l’apprentissage entre pairs, adaptable à tous publics, et avec un aspect pyramidal (via la diffusion rapide des fresques).
  • Il aime en animer pour l’aspect ludique, l’impact immédiat observable, l’argumentation et la discussion, les rencontres riches avec d’autres animateur·trice·s… Il a le sentiment d’apporter des connaissances, mais surtout de motiver les participant·e·s à agir. Un espace non déprimant pour parler climat, ce qui manque dans l’espace public.
  • Selon lui, les limites de la Fresque du Climat sont qu’en général le public est déjà sensibilisé, et qu’elle est théorique et doit être complétée (par exemple via l’atelier 2 tonnes plus technique).
  • Gestion des émotions durant l’animation : l’émotion négative la plus souvent rencontrée est l’indifférence, notamment pour les publics captifs. Il renforce alors les échanges entre pairs.

Valentin Prince – Ingénieur pédagogique à l’ISC Paris et rattaché au laboratoire d’innovation pédagogique, co-créateur de la Fresque de l’apprendre

Ce qu’on retient du vocal :

  • La Fresque de l’apprendre a été co-créée avec Coralie Damay. Elle est née il y a 3 ans lors d’une « semaine de l’apprendre » à l’ISC Paris.
  • D’abord sous forme de cartes, elle a ensuite été développée comme fresque en s’inspirant de modèles déjà connus (Fresque du climat etc.), via le manque observé qu’il n’existait aucune fresque sur l’apprentissage.
  • Fondée sur la littérature scientifique en sciences de l’éducation, l’équipe s’est aussi fondée sur des rapports ministériels, des rapports de l’OCDE ainsi que sur des professionnel·le·s, notamment de santé, pour construire certains lots (pour le lot « handicap » par exemple).
  • C’est un outil ludique et collaboratif.
  • La Fresque de l’apprendre s’adresse à toute personne concernée par l’apprentissage.
  • « Couteau suisse » : l’animateur·rice fait une sélection parmi les 11 lots thématiques et les 85 cartes pour s’adapter à son public et à ses objectifs.
  • La fresque est un format adaptable, modulable et évolutif. En projet : l’ajout de cartes sur l’IAG, les biais cognitifs, et les neuromythes.

Aller plus loin

??

Est-ce que je peux réutiliser cet article ?

Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions

Cela signifie, que tu es autorisé·e à partager ce article par tous les moyens et sous tout formats, à condition de créditer Ed For Good et l’auteur·rice, indiquer si des modifications ont été effectuées en intégrant un lien vers la licence (sans toutefois suggérer qu’Ed For Good, l’auteur·rice ou les interviewé·e·s te soutiennent), et ne pas en faire un usage commercial.